Maîtrise en Droit - Carrières juridiques et judiciaires Droit des Régimes Matrimoniaux

1 ère session   Epreuve du vendredi 25 janvier 2002

SUJETS

Documents autorisés :
- Code civil
- Calculette


Sujet Théorique.

Le régime matrimonial légal vous paraît-il préserver de façon satisfaisante l'indépendance professionnelle de chacun des époux ?


Sujet Pratique.

On liquide le loft...

Joana a épousé Charles-Edouard le 16 mai 1995, sans contrat de mariage. Aucun enfant n'est issu de leur union. Mais le torchon brûle entre eux depuis le mois d'août dernier. Joana envisage une procédure de divorce. Avant de s'engager dans cette nouvelle aventure, elle souhaite bénéficier de vos conseils éclairés, et notamment savoir quels seront ses droits dans la liquidation de son régime matrimonial.

Elle vous expose que, au jour du mariage, son mari était propriétaire d'un loft situé à la Plaine Saint Denis, qu'il avait acquis deux années plus tôt le 15 mai 1993, pour un prix de 55.000 euros auquel s'étaient ajoutés 5.000 euros de frais. Il avait financé à l'époque cette acquisition à l'aide de ses quelques économies personnelles à concurrence de 10.000 euros. Le surplus, soit une somme de 50.000 euros, a été emprunté auprès de la banque Benjamin et Cie. Cet emprunt était remboursable en dix annuités payables le 15 mai de chaque année, et s'élevant chacune à 6.500 euros, dont 5.000 de capital et 1.500 d'intérêts. Les échéances ont été réglées ponctuellement aux dates prévues. Il reste actuellement dû sur cet emprunt une somme de 20.000 euros en capital et 6.000 euros en intérêts. Quant au loft, il constitue, depuis le début du mariage et même avant, le domicile commun du ménage.

Joana pour sa part ne possédait rien au jour du mariage, que son sourire et sa très grande séduction. L'année suivante, elle a eu cependant (heureuse surprise d'hériter d'un vieil oncle un peu misanthrope qu'elle n'avait pas vu depuis longtemps un terrain à Saint-Tropez en indivision avec ses deux sueurs, ainsi que 500 actions d'une société mystérieuse mais apparemment pleine de promesses, nommée TV6. Au jour de la succession le terrain de Saint-Tropez était évaluée à 75.000 euros, et les actions cotaient 50 euros chacune. Pour cette succession, il a fallu débourser 25.000 euros de droits que Joana, dépourvue de toute ressource à ce moment, a persuadé Charles-Edouard de payer à l'aide d'une somme équivalente qu'il venait de gagner en participant au célèbre jeu télévisé "Qui veut gagner des picaillons ?"

Quelques mois plus tard, la société TV6 avait tenu ses promesses et les actions cotaient 100 euros chacune. Profitant de l'aubaine, Joana vendit 300 de ses actions. A l'aide de l'argent retiré de cette vente, elle racheta les droits indivis de ses deux sueurs pour un prix global de 60.000 euros, frais compris, le surplus de ce prix ayant été financée grâce aux produits de la vente d'un disque que Joana venait d'enregistrer, et qui s'avéra être un très grand succès.

Le succès fut tel que les époux purent, la même année, faire construire une villa sur le terrain de Saint-Tropez pour un coût de 140.000 euros.

Par ailleurs, en 1999, la société TV6 a procédé à une augmentation de capital, à raison d'une action nouvelle pour deux actions anciennes. Considérant qu'elle ne pouvait que se féliciter des avantages que cette société lui avait jusqu'ici procurés, Joana s'est empressée d'y souscrire. Les actions nouvelles ont été émises à la valeur nominale de 100 euros chacune ; le droit préférentiel de souscription attaché à chacune des actions anciennes était évalué à 10 euros. Trois mois plus tard, Joana a revendu 300 actions de la Société TV6 au cours de 150 euros chacune. L'argent retiré de cette vente a servi pour l'essentiel à payer une croisière que les époux ont effectuée ensemble l'été suivant sur le Queen Elisabeth pour tenter, mais en vain, de ranimer la flamme.

Enfin, au mois de mai dernier Joana, qui adore la natation, a convaincu son mari de faire installer une piscine au milieu du loft de La Plaine Saint Denis. Les travaux, d'ampleur considérable, se sont élevés à la bagatelle de 30.000 euros qui restent à payer à l'entreprise "Les Piscines du soleil" qui les a réalisés.

En femme avisée qu'elle est, Joana a pris soin de consulter avant de venir vous trouver un expert à la compétence particulièrement déliée, qui lui a fourni les indications suivantes :

- Le loft de la Plaine Saint Denis peut être évalué aujourd'hui à 90.000 euros ; la construction de la piscine n'engendre selon cet expert aucune plus-value.

- La villa de Saint-Tropez est estimée à 200.000 euros ; quant au terrain il vaudrait, sans la construction qui y a été édifiée, 120.000 euros.

En-dehors des biens ci-dessus mentionnés, les époux possèdent :

- un compte joint à la Banque Benjamin et Cie, présentant un solde créditeur de 25.000 euros ; - un portefeuille de valeurs mobilières d'un montant global de 95.000 euros.

En outre, Joana vient d'apprendre que Charles-Edouard s'est porté caution d'un prêt consenti par la Banque Benjamin à leur ami Steeve, qui envisage de créer une nouvelle agence de publicité. Elle même vient de recevoir une lettre de l'administration des impôts qui lui réclame une somme de 20.000 euros au titre de l'impôt sur le revenu des personnes physiques, à raison des produits de la vente de son disque qu'elle a omis de déclarer. Joana, très inquiète, se demande qui va payer toutes ces dettes.

Il vous est demandé :

- de préparer un projet de liquidation de la communauté existant entre Joana et Charles-Edouard,
- de dire qui devra payer les dettes en souffrance et si leur paiement donnera éventuellement lieu à des recours entre les époux .

N.B. Pour des raisons de commodité, tous les prix et toutes les valeurs ont été convertis en euros, y compris les valeurs antérieures au 1 er janvier 2002.


ELEMENTS DE CORRECTION


Observations préliminaires


1. Liquidation normale du régime de communauté légale, en application des lois du 13 juillet 1965 et 23 décembre 1985 (0,5 pt)


2. Le loft de la Plaine Saint-Denis (2 pt)
Il est propre à Charles-Edouard (1405). (0,5 pt).
-- Le prêt
- La communauté a droit à récompense pour sa contribution au remboursement. On ne prend pas en compte les intérêts pour le calcul de cette dernière (Civ. 31 mars 1992) (0,5 pt)
- Il reste 20.000 euros à régler en capital.30.000 euros ont donc déjà été réglés par la communauté soit 6 anuitées (6 x 5000) étant donné que le paiement a été effectué chaque année sans problèmes.
- Calcul de cette récompense : (30.000 € / 55.000 € ) x 90.000 € = 49.090,90 € (0,5 pt).
- Il reste dû 26.000 €, qui sont dues par Charles Edouard (0,5 pt).


3. L’héritage (2,5 pt)
- La part de Joana sur le terrain ainsi que les actions sont des biens propres (1405) (0,5 pt).
- Les frais de succession sont payés par la communauté, les gains tombant en communauté.
- Le rachat des parts de ses sœurs fait du terrain un bien propre (1408) (0,5 pt), mais récompense est due à la communauté pour sa contribution (1437 et Civ. 13 oct. 1993 pour les gains et salaires) (0,5 pt).
- Calcul de la récompense : dépense d’acquisition (1469 al 1&3 combiné donc R=PS)
PS=(30.000/90.000) x 120.000=40.000 euros (1 pt)


5. La villa de Saint-Tropez (4,5 pt)
- La maison est construite sur un terrain propre, elle est donc propre à son tour étant accessoire du terrain (art 1406 et 551) (0,5 pt)
- Pas d’informations sur le financement de cette construction, donc on considère que c’est la communauté qui a payé (0,5 pt).
- La villa est une dépense d’amélioration (1469 al 1&3 combiné R=PS) (0,5 pt).
- PS= 200.000-120.000=80.000 euros (1 pt).
- La piscine est également une dépense d’amélioration (1469 al 1&3 combiné R=PS) (0,5 pt).
- PS= 0 euro (0,5 pt).
- C’est une dette commune quant à la poursuite, mais personnelle quant à la contribution (1 pt).


6. L’augmentation de capital (4 pt)
- Les actions acquises étaient des biens propres, financés par la communauté (1 pt) ;
- R=((100*100) /((100*100)+(200*10)))*(100*150)=12.500 euros (1 pt).
- Les actions, bien propre, ont été revendues pour faire une croisière. Il s’agit de l’utilisation par la communauté de fonds propres, ce qui donne lieu à récompense de la part de la communauté (1 pt).
- Calcul de la récompense : 300 actions x 150 €/action = 45.000 € (1 pt).


7. Le cautionnement (1 pt)
- L’engagement de caution est une dette personnelle. Par application de l’article 1415 du code civil, seuls les biens propres de l’époux et ses revenus sont engagés.
- La question de la contribution est plus complexe : dans la mesure où Charles-Edouard s’est porté caution pour l’ami commun du couple, Steeve, la dette sera définitivement commune.


8. La dette fiscale (1 pt)
Toute dette liée à un non-paiement de l’impôt est une dette commune, quand bien même cette dette est née en raison de la faute d’un seul des époux. En revanche, les amendes fiscales sont des dettes personnelles.


9. Recours subrogatoire entre époux (1 pt)

 

TABLEAU (3,5 pt)


I/ REPRISES ET RECOMPENSES


A- MADAME
1er : En nature
Villa de Saint-Tropez
2nd : En valeur
Dues par la communauté
Vente d’actions propres sans remploi 45.000 euro
Dues à la communauté
Droit de mutation 50.000 euro
Augmentation de capital 12.500 euro
Acquisition de Saint-Tropez 40.000 euro
Construction villa 80.000 euro
TOTAL 182.500.00 euro
Solde du compte 137.500.00 euro


B- MONSIEUR
1er : En nature
Loft de La plaine Saint Denis
2nd : En valeur
Dues par la communauté
Néant
Dues à la communauté
Remboursement du prêt 49.090,90 €
Construction piscine 0 €
Solde du compte : 49.090,90 €


II/ MASSE COMMUNE
1er : Actif
Solde compte récompense Mme 137.500.00 euro
Solde compte récompense Mr 49.090,90 euro
Compte joint 25.000 euro
Valeurs mobilières 95.000 euro
Total 306.590,90 euro


2nd : Passif
Piscine 30.000 euro
Impôts Mme 20.000 euro
ACTIF NET 256.590,90 euro
Dont ½ 128.295,45 euro


Part de Monsieur : 128.295,45 euro - 49.090,90 euro = 79.204,55 €
Part de Madame : 128.295,45 euro - 137.500.00 euro = soulte de 9.204,55 €.
Pour les attributions, Charles-Edouard doit tout recevoir et, en outre, une soulte de 9.204,55 € versée par sa femme.