DROIT DES SUCCESSIONS

Cours de Madame le Professeur FLOUR

SESSION DE JUIN 2006

TRAITEZ AU CHOIX L'UN DES DEUX SUJETS SUIVANTS

1°) Sujet Théorique

La réserve héréditaire vous paraît-elle adaptée aux objectifs et aux besoins du droit successoral d'aujourd'hui ?

 

2°) Sujet Pratique

TROIS DRAMES A LA HUITIEME COMPAGNIE

Trois drames viennent de survenir lors de la célèbre émission de télé réalité, la huitième compagnie. Le producteur de celle-ci, désigné par contrat exécuteur testamentaire des candidats de l'émission, vient vous voir afin que vous l'aidiez à répondre aux questions qui lui sont posées.

I - LORDY (6 points)

En premier lieu, le jeune Lordy, âgé de 18 ans, a été mortellement blessé par un puma au cours d'une expédition dans la jungle.

Il laisse pour lui succéder :

-     Paul, son père, avec qui il était en conflit à propos de droits d'auteur encaissés par Paul pour le compte de son fils et que Lordy lui réclamait ;

-     Félix, son oncle paternel (frère de Paul) ;

-     Charles, son cousin, issu de Sophie sœur prédécédée de Paul ;

Thérèse et Théodora, les deux sœurs de sa mère Marie qui, elle, est prédécédée.

Madame Plantigrade, président de l'association de défense de l'ours en France, revendique la succession. A l'appui de sa prétention, elle présente une lettre reçue de Lordy peu de temps avant sa mort, ainsi rédigée :

« Je vous remercie des aimables vœux que vous m'avez adressés pour mes dix huit ails.

Je soutiens votre cause de tout mon cœur, et si je meurs, je souhaite que toute mua fortune soit attribuée à votre association, afin de favoriser le lâcher d'ours dans les forêts françaises.

Lordy ».

Le producteur s'interroge :

-     quelle est la dévolution de la succession de Lordy ?

-     Madame Plantigrade peut-elle prétendre à des droits dans la succession et lesquels ?

-     que se passe-t-il si, comme il l'a annoncé, Paul renonce à la succession ?

-     qui peut agir contre Paul afin de récupérer les droits d'auteur détournés ?

 

 

Il - GAZMADI (6 points)

A - Vient ensuite le cas de Jean-Pierre Gazmadi mort d'épuisement après une marche forcée autour du camp.

Il laisse à sa survivance :

-          son épouse Simone, de qui il s'était séparé de fait en 1992, mais sans jamais divorcer ;

-          un fils issu de son mariage, Benjamin ;

-          une fille, Coralie, née de Flavie Wallon avec qui Jean-Pierre vivait en concubinage depuis 1995.

Le producteur juge bien compliquée la situation familiale et vous demande comment la succession doit se répartir entre les ayants droits.

La solution serait-elle la même si Jean — Pierre Gazmadi était décédé le 31 mai 2002 ?

B - Après quelques recherches, le producteur a découvert que par acte notarié du 17 mars 1990, Jean-Pierre Gazmadi avait légué à son épouse l'universalité de sa succession, et que, par testament olographe régulier du 2 janvier 2006 ne comportant aucune clause révocatoire expresse, il a légué tous ses biens à Flavie Wallon. Quels sont les droits de chacun ?

III - REGINA (8 points)

Regina LAFERME a succombé de mort naturelle pendant son sommeil.

Elle laisse pour lui succéder cinq enfants issus de ses trois mariages successifs, avec qui elle s'est montrée inégalement généreuse.

-   A l'aîné, Patrick Truelle, né de son premier mari Henri Truelle, elle a donné en 1962 par avancement d'hoirie une maison sise 9 rue des Pétrels à La Baule (valeur au jour de la donation : 100.000 €, au jour du décès 580.000 €, au jour du partage 650.000 €). Toutefois, Patrick a fait construire une piscine dans cette résidence, et il apparaît que sans cet aménagement, l'immeuble vaudrait au jour du décès 500.000 €, au jour du partage 620.000 €.

-   Les deux derniers enfants, issus du troisième mariage de Regina avec Monsieur Babar (dissous en 2005 par la mort de son mari), ont reçu les donations suivantes : Ben Babar a reçu en 1987 2000 actions de la société Arthur, à titre préciputaire (valeur totale au jour de la donation : 170.000 €, au jour du décès 220.000 €, au jour du partage 100.000 €).

Enfin Jennyfer Babar a reçu, en avancement d'hoirie et en 1995, la nue propriété d'une maison située au Raincy (valeur de la maison entière au jour de la donation : 200.000 €, au jour du décès 250.000 €, au jour du partage 300.000 € ; il est établi que Regina avait 60 ans au jour de la donation et que la nue propriété représentait alors 40% de la valeur du bien).

-   En revanche, Regina s'entendait extrêmement mal avec les deux enfants issus de son second mariage, Matt et Raphaël Poquelrat. En conséquence, ceux-ci n'ont été gratifiés d'aucune donation.

Totalement dépassé, le producteur souhaite que vous établissiez un projet d’état liquidatif étant observé que les biens existants se composent de :

- un appartement dans le 15ème arrondissement à Paris (valeur au jour du décès 500.000 €, sans changement au jour du partage) ;

- une propriété avec golf à Bourges, 111 rue Jean Baffier (valeur au jour du décès 300.000 €, au jour du partage 500.000 €), que, par testament notarié, Regina a légué au SAMU de Bourges ;

- un compte bancaire présentant un solde positif de 30.000 € au jour du décès et 20.000 € au jour du partage par suite du paiement des frais funéraires (10.000 €).

DOCUMENTS AUTORISES : Code civil Dalloz ou LITEC Calculette

 

ELEMENTS DE CORRECTION A LA HUITIEME COMPAGNIE

(Rien ne s’arrange…)

 

 

chaque * = ½ point

 

I. LORDY (6 points)

 

1. Dévolution successorale (1 pt)

* Il faut appliquer l’article 734 du code civil sur les ordres des héritiers :

« En l'absence de conjoint successible, les parents sont appelés à succéder ainsi qu'il suit:

   1o Les enfants et leurs descendants;

   2o Les père et mère; les frères et sœurs et les descendants de ces derniers;

   3o Les ascendants autres que les père et mère;

   4o Les collatéraux autres que les frères et sœurs et les descendants de ces derniers.

   Chacune de ces quatre catégories constitue un ordre d'héritiers qui exclut les suivants ».
* Il n’y a aucun héritier du premier ordre et le père est le seul héritier du second ordre. Le père a vocation à tout recueillir.

 

2. Validité du testament (pitié pour les ours ! – 3,5 pts)

* c’est un testament olographe, au sens de l’article 970 du code civil. Il doit remplir trois conditions : « Le testament olographe ne sera point valable, s'il n'est écrit en entier, daté et signé de la main du testateur: il n'est assujetti à aucune autre forme ».

* il doit être écrit en entier de la main du testateur : c’est le cas en l’espèce, puisqu’il s’agit d’une lettre missive de Lordy ;

* il doit être signé afin d’identifier le testateur et de constater son intention de tester. En l’espèce, il n’est signé que du prénom. Toutefois, « la signature par le seul prénom d'un testament olographe répond suffisamment aux exigences de l'art. 970, dès lors qu'elle permet d'établir avec certitude l'identité de l'auteur de ce document et sa volonté d'en approuver les dispositions (Civ. 24 juin 1952: D. 1952. 613; JCP 1952. II. 7179, note Voirin).

* il doit être daté de manière précise. Les faits et circonstances extrinsèques au testament peuvent, dans la mesure où ils corroborent les éléments intrinsèques dans lesquels doit avoir son principe et sa racine la preuve de la date d'un testament olographe, servir à établir cette date ou à la compléter (Civ. 24 juin 1952: D. 1952. 613; JCP 1952. II. 7179, note Voirin). En l’espèce, l’élément intrinsèque est que Lordy a envoyé cette lettre pour remercier Mme Plantigrade de ses vœux.

* La jurisprudence Payan semble devoir être écartée : elle ne s’applique que s’il manque le quantième de la date…. « En cas d'omission du quantième du mois, et dès lors qu'il n'a pas été soutenu que, pendant tout le cours de ce mois, la testatrice ait été frappée d'une incapacité de tester ni qu'elle ait rédigé un autre testament révocatoire ou inconciliable avec le testament litigieux, le caractère incomplet de la date n'entraîne pas la nullité du testament »(Civ. 1re, 1er juill. 1986:  Bull. civ. I, no 193; R., p. 137; D. 1986. 542, note Grimaldi; Defrénois 1986. 1019, note Grimaldi). Toutefois, la solution est discutée. On peut penser qu’ici le testament est valable.

* Le légataire est une personne morale, une association, apte à recevoir le legs.

* Même si le testament est valable, le père est un héritier réservataire du quart en pleine propriété (C. civ., art. 914).

 

 

3. Renonciation de Paul (1 pt)

* si Paul renonce et si le testament est tenu pour valable, Mme Plantigrade reçoit tous les biens ; elle a la saisine de plein droit mais doit se faire envoyer en possession par le Président du tribunal de grande instance ;

*  si Paul renonce et si le testament n’est pas considéré comme valable, il y a application de la fente (C. civ., art. 749) : Thérèse et Thédora auront chacune ¼ et Félix obtiendra la moitié.

 

4. Action pour les droits d’auteur (1/2 pt)

Selon l’article 724 du code civil,  « Les héritiers désignés par la loi sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt ». « Les légataires et donataires universels sont saisis dans les conditions prévues au titre II du présent livre ».

Mme Plantigrade peut agir de plein droit si le testament est valable. On doute que Paul agisse contre lui-même ! Si Paul renonce, les oncles et tantes peuvent exercer cette action.

 

 

 

II. GAZMADI (6 points)

 

A. Mort ab intestat

A 1 (2 pts)

* La loi du 3 décembre 2001 s’applique à compter du 1er juillet 2002.

* Si Jean-Pierre est mort aujourd’hui, les enfants font partie du premier ordre (C. civ., art. 734) et viennent donc à la succession sans distinction entre l’enfant légitime et l’enfant adultérin.

* Aucune séparation de corps ou aucun divorce n’étant intervenu entre Jean-Pierre et sa femme, celle-ci a droit, en tant que conjoint survivant, à un quart en pleine propriété (C. civ., art. 757).

 

A 2 (2 pts)

* Si Jean-Pierre est mort le 31 mai 2002, la loi du 3 décembre 2001 n’a pas vocation à s’appliquer aux décès antérieurs au 1er juillet 2002.

* Certaines dispositions sont d’application immédiate (égalité entre les enfants issus du de cujus), d’autres ne le sont pas (droits du conjoint survivant).

* Le CS a droit à un quart en usufruit (C. civ., ancien article 767).

* Les deux enfants à un huitième en nue-propriété et trois huitièmes en pleine propriété.

 

B. Dévolution testamentaire (2 pts)

* La question est de savoir si le second testament a opéré révocation tacite du premier, au sens de l’article 1036 du code civil : « Les testaments postérieurs qui ne révoqueront pas d'une manière expresse les précédents, n'annuleront, dans ceux-ci, que celles des dispositions y contenues qui se trouveront incompatibles avec les nouvelles, ou qui seront contraires ».

* Il faut une incompatibilité matérielle et/ou morale :

*- pas d’incompatibilité matérielle : il s’agit de deux testaments instituant deux personnes différentes légataires universels ; or, cela est juridiquement possible ;

*- pas d’incompatibilité morale : Gazmadi est en bons termes avec son épouse et le seul fait de consentir un legs à sa maîtresse n’est plus contraire à l’ordre public ou à la morale.

 

 

III. REGINA (8 points)

 

NB : Il était demandé un « état liquidatif ». Toutefois, certains étudiants ne semblent pas avoir pratiqué cette technique. Il sera admis que, faute d’état liquidatif, les calculs peuvent être faits librement, sans respecter la forme.

 

I. DEVOLUTION (1 pt)

* Regina a cinq enfants. Ils viennent tous les cinq à la dévolution. Pas de conjoint survivant.

* Ce sont des héritiers réservataires : QD = ¼ ; RG = ¾ ; RI = 3/20.

 

II. VERIFICATION DE L’ATTEINTE A LA RESERVE (2 pts)

* Concernant les biens existants, il convient de tenir compte de la valeur au jour du décès (art. 922).

* Concernant les donations, il convient de rapporter la valeur du bien au jour du décès (art. 922)

* Lorsque la plus value est due à l’activité du donataire, la plus-value n’est pas rapportable (art. 860).

* BEAUVARLET (n°17, p. 14) : « si la donation a été faite à l’héritier avec réserve d’usufruit stipulée au profit du donateur, l’héritier devra le rapport de la pleine propriété ».

TOUTEFOIS, si la réserve d’usufruit a été faite au profit d’un tiers, l’héritier ne doit rapporter que la nue-propriété (cf. BEAUVARLET, eod. Loc.).

Les deux solutions sont possibles et admises.

 

III. CALCUL DE LA QUOTITE DISPONIBLE (1,5 pt)

Il nous faut tout d’abord calculer la Masse de calcul (Art. 922 ) et la quotité disponible :

*ACTIF

- Appartement à Paris                                        500.000 €

- Propriété avec golf à Bourges                            300.000 €

- le solde du compte                                             30.000 €

PASSIF

- Frais funéraires                                                              10.000 €

SOLDE                                                             820.000 €

 

*Réunion fictive des donations :

- donation faite à Patrick :                                               500.000 €                                             

- donation faite à Ben BABAR                                         220.000 €

- donation faite à Jennyfer                                               250.000 € (ou 100.000 €)

Total des donations                                                        970.000 € (ou 820.000 €)

MASSE DE CALCUL : 1.790.000 € (ou 1.640.000 €)

 

*Dont le ¼ formant la quotité disponible est : 447.500 € (ou 410.000 €)

Réserve globale : 1.342.500 € (1.250.000 €)

Réserve personnelle : 268.500 € (250.000 €)

 

 

IV. IMPUTATION DES LIBERALITES (2,5 pts)

* Pour la donation faite à Patrick en avancement d’hoirie, la villa de La Baule est imputée à hauteur de 268.500 € (250.000 €) sur sa réserve personnelle, puis, pour les 231.500 € (250.000 €) sur la quotité disponible. Reste 216.000 € (197.500 €) dans la QD.

 

* Pour la donation préciputaire faite à Ben, la somme de 220.000 € doit être imputée sur la QD. Ben doit donc une indemnité de réduction de 4.000 € (22.500 €).

 

* Pour la donation faite à Jennyfer, elle a été consentie par avancement d’hoirie et doit donc être entièrement imputée sur la réserve personnelle : elle vaut 250.000 € au jour du décès, ce qui est inférieur à cette réserve.

 

Le legs fait au SAMU ne peut être exécuté pour deux raisons :

* la QD est épuisée ;

* le SAMU n’a pas la personnalité morale. Il n’est qu’un service de l’hôpital et ne peut donc être légataire.

On peut se poser la question de savoir si le SAMU pouvait recevoir la donation, comme ayant prodigué les derniers soins à Regina. Ce n’est pas le cas, car, selon l’énoncé, elle est mort dans son lit.

 

 

V. MASSE A PARTAGER (1 pt)

* Revalorisation de l’IR due par Ben Babar : (4.000 / 220.000)  x 100.000 = 1.818 € (10.227 €)

 

*ACTIF

- Appartement à Paris                                        500.000 €

- Propriété avec golf à Bourges                            500.000 €

- le solde du compte                                             20.000 €

SOLDE                                                         1.020.000 €

 

Réunion fictive des donations :

- donation faite à Patrick :                                               620.000 €                                             

- donation faite à Ben BABAR (IR)                                   1.818 € (10.227 €)

- donation faite à Jennyfer                                               300.000 €

Total des donations                                                        921.818 € (930.227 €)

MASSE A PARTAGER : 1.941.818 € (1.950.227 €)

 

Part de chaque héritier : 388.364 € (390.045 €)

 

VI. ATTRIBUTIONS (non demandé)

- Patrick : 388.364 € (sa part) – 620.000 € (son rapport) = soulte de 231.636 €

- Ben Babar : 388.364 € (sa part) – 1.818 € (son IR) = 386.546 ;

- Jennyfer : 388.364 € (sa part) – 300.000 € (son rapport) = 88.364 €

- M’Poquelrat : 388.364 € (sa part)

- Raphaël : 388.364 € (sa part)

 

Vérification : Solde 1.020.000 € + soulte Patrick 231.636 € = 1.251.636 €

Distribué : 386.546 (Ben) + 88.364 € (Jennyfer) + 388.364 € (Matt) + 388.364 € (Raphaël) = 1.251.638 € (erreur due à l’arrondi de l’indemnité de réduction de Ben)

 

Il y a en réalité deux biens d’égale valeur (l’appartement à Paris et la propriété à Bourges). Aucun des héritiers ne peut y prétendre. Le plus simple est sans doute, pour le notaire, de tout vendre et de répartir les fonds…