Etude de politique criminelle 

 

 

La Valeur de la règle non bis in idem

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Pas deux poursuites pour la même infraction. Telle est la substance originelle de la règle non bis in idem. Adage latin exprimant  un principe universel d’équité, elle nous vient du droit romain où il y est fait allusion dans des rescrits d’Antonin le Pieux et dans le Code Justinien. Pour partie présente dans l’ancien droit, la règle connaît une consécration éphémère en 1791à travers  l’article 9 du chapitre V de la plus libérale des constitutions : «Tout homme acquitté par un  juré légal ne peut plus être repris ni accusé à raison du même fait ». Le principe réellement visé par le législateur est alors certainement res judicata pro veritate habetur. En fait, il nous semble que ces deux propositions poursuivent les mêmes finalités et sont intimement liées. La fonction première de la règle non bis in idem apparaît en effet comme étant la crédibilité de la justice sous l’angle du respect de la chose jugée. En ce point, la question de la fonction sociale de la règle demeure très actuelle en ce qu’elle nous ramène à la perception qu’a le peuple de l’intégrité de sa justice répressive.

 

Aujourd’hui, tous les Etats de droit ont, plus ou moins solennellement intégré la règle dans leur ordonnancement juridique. Qu’on lui consacre une valeur constitutionnelle, comme en République Fédérale Allemande ( article 103 sec. 3 Grundgesetz ) ou bien une valeur plus diffuse, comme en France, la règle née du droit pénal a connu des développements dans toutes les branches du droit où existe l’éventualité d’une sanction.

 

Sous des formes parfois aménagées, des avatars de la règle non bis in idem, originaire du réseau pénal de sanction, se manifestent dans d’autres réseaux. En fait, la portée de l’adage se trouve, en droit positif, soumise à de nouvelles interrogations auxquelles les apports des sources internationales et en particulier du droit conventionnel européen ne sont pas étrangères. La Cour Européenne des Droits de l’Homme développe, en ce sens, une jurisprudence conférant une place substantielle à l’application de ce qui est, sur le plan Européen, un principe consacré par l’article 4 du protocole n° 7 de la Convention. 

 

Néanmoins, si un respect dans l’application de non bis in idem est consacré lorsque plusieurs sanctions sont encourues au sein d’un  même réseau, c’est précisément dans la mise en communication des réseaux de sanction que la portée de la règle trouve ses limites. Dans sa décision du 28 juillet 1989, le juge constitutionnel français eut à se prononcer sur l’application de la règle non bis in idem  en cas de cumul éventuel de poursuites émanant, pour un même fait, de deux réseaux de sanctions différents : pénal et administratif. La solution retenue est celle de la non application de la règle qui, au demeurant, n’a pas valeur constitutionnelle. Derrière une telle solution, s’affirme toute la logique d’un choix de politique criminelle, étant celui du fonctionnement cumulatif des réseaux de sanction. La solution allemande relève d’un choix différent qui consacre un fonctionnement alternatif, entre réseau pénal et administratif. Ne laissant ainsi pas de possibilités de cumul, le principe constitutionnel non bis in idem s’avère être, intégralement respecté.

 

Demeure en suspens la question de savoir si, dans cette logique de cumul, la solution retenue par la France s’avère être valablement durable en considération des exigences évolutives de la jurisprudence de Strasbourg. Dans cette optique, seront considérés successivement la valeur reconnue à la règle non bis in idem dans le fonctionnement interne des réseaux de sanction (1ère Partie) et la règle non bis in idem face à la mise en communication des réseaux de sanction (2nde Partie).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

I - La valeur de la règle non bis in idem dans le fonctionnement interne des réseaux de sanction.

 

 

Selon une typologie propre à la politique criminelle, on appréhende les réseaux de sanction du modèle Etat-société libéral par une dichotomie préalable entre réseau pénal et autres réseaux de sanction (administratif, civil, médiation). La considération de la valeur de la règle dans le réseau pénal semble incontournable, comme l’est son application au réseau administratif (en étant le plus proche quant à ses finalités). Néanmoins, il convient de privilégier une tierce approche par le biais du réseau d’autodiscipline propre au modèle sociétal Société autogestionnaire, où des développements de la règle non bis in idem sont certainement à attendre au regard de la construction de la notion de matière pénale telle qu’elle est envisagée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

 

La règle non bis in idem, dans notre ordonnancement juridique, est consacrée par le Code de procédure pénale (art. 368) : « Aucune personne acquittée légalement ne peut plus être reprise ou accusée à raison des mêmes faits, même sous une qualification différente ». Force est de constater que, mis à part la référence au jury populaire, l’approche consacrée aujourd’hui, elle même empruntée au code d’instruction criminelle (art. 246 & 360). On en trouve aussi des manifestation à travers l’extinction de l’action publique pour cause d’autorité de la chose jugée visée à l’article 6 du Code de procédure pénale et les articles 132-2 et suivants concernant les peines applicables en cas de concours d’infraction. C’est donc dans la loi pénale qu’il faut chercher les principes directeurs du fonctionnement de la règle qui seront pour leur plus grande partie applicable aux autres réseaux de sanctions.

 

 

A - Le réseau pénal et l’origine de la règle

 

 

Comme nous l’avons vu précédemment, l’adage non bis in idem est issu du droit répressif romain et l’acception  qui en était faite est voisine de celle du droit positif.

 

 

1 ) Conditions préalables de fonctionnement

 

La règle non bis in idem s’oppose à ce que plusieurs poursuites soient entamées pour une même faute pénale. La question de l’identité des infractions est en ce sens fondamentale. Selon une opinion doctrinale établie, la construction jurisprudentielle exigeant, pour l’application de la règle, une triple identité de cause, d’objet et de parties, est directement  issue des principes civilistes. En effet, c’est certainement dans l’article 1351 du Code civil traitant de la chose jugée, qu’il faut trouver la source de cette exigence.

 

L’identité de cause s’entend du « fait délictueux qui ouvre la poursuite » ( Roland & Boyer : Adages du droit Français) . On semble pouvoir en déduire que de multiples poursuites pénales ne peuvent donc être engagées sur la base d’un même fait matériel. Telle n’est pas la position française. Ainsi, le fait matériel unique peut-il être sujet de diverses appréhensions du droit pénal si les intérêts protégés par les infractions sont distincts. Cette notion de valeur sociale protégée   s’est notamment manifestée par une jurisprudence illustre de la chambre criminelle dans l’affaire Ben Haddadi du 3 mai 1960. En l’espèce, un individu commet détériore, à l’aide d’une substance explosive, un édifice habité. La Cour retient que, sur la base d’un même fait matériel, l’existence de « deux crimes simultanés, commis par le même moyen, mais caractérisé par des intentions coupables essentiellement différentes ».  Plusieurs fautes pénales coexistent donc dans un même fait matériel. Une double appréhension pénale sur la base d’un même fait matériel est rendue possible, d’autant que la jurisprudence a nourrit cette solution et admet, par exemple, l’existence de deux infractions distinctes dans le fait de licencier un salarié protégé dans un licenciement économique irrégulier (Chambre criminelle, 22 avril 1986).  Suivant la position de M. Pralus, il semble que ce « cumul d’actions répressives, regroupées en une même procédure » nous amène à la question ouverte de la compatibilité avec la règle non bis in idem ; d’où il affirme : « ...le cumul idéal d’infractions - constitué lorsqu’un même acte correspond à des qualifications différentes données par plusieurs lois pénales et donc constitue ou contribue à constituer l’élément matériel de plusieurs infractions - est une atteinte à la règle non bis in idem, en ce qu’il réalise une pluralité de répression de cet acte... ». Force est donc de constater que la règle non bis in idem, si elle interdit de poursuivre et de sanctionner à de multiples reprises l’infraction, permet ,en revanche, en droit positif, des poursuivre, sous des qualifications multiples, les mêmes faits.

 

Sur le plan de l’identité d’objet, la discussion est moins polémique. En effet, l’objet de tout procès pénal semble être la manifestation d’une réaction étatique  conduisant le cas échéant au prononcé d’une sanction envers la personne poursuivie et en se sens,  l’objet apparaît nécessairement identique dans toutes les poursuites.

 

Enfin, l’identité de parties est à subdiviser. D’une part, elle semble nécessairement acquise sur le plan de la partie poursuivante. Le ministère public profite effectivement du caractère d’indivisibilité qui fait de lui un seul et même acteur du procès pénal auquel il est toujours partie principale. En revanche, l’individu poursuivi devra l’être dans la même qualité pour que la règle reçoive une application.

 

Ce n’est donc que dans ces trois conditions qu’il est possible de faire jouer la règle non bis in idem dans le réseau pénal. Dans le respect de ces exigences, un même fait matériel ne peut être, postérieurement à la décision de justice, poursuivi sous une autre qualification. On ne peut s’empêcher d’évoquer l’affaire dite du sang contaminé et ses apparentes contradictions avec la règle non bis in idem. Alors qu’une première condamnation pour distribution de produits falsifiés avait eu lieu, une seconde information criminelle pour empoisonnement était ouverte sans qu’on ait réellement débattu sur la question de l’autorité de la première condamnation.

 

 

2 ) Approche des cas d’exclusion de la règle non bis in idem

 

Lorsqu’un même fait matériel, de par la pluralité des valeurs sociales qu’il viole, conduit le juge à retenir plusieurs infractions distinctes, nous savons que le nouveau code pénal (dans une logique globale du non cumul des peines, qui, au demeurant, apparaît aux antipodes de la logique anglo-saxonne), ne permet de retenir que la peine la plus haute. Ce principe énoncé à l’article 132-3 du Code pénal, connaît, on le sait, quelques exceptions. La plus marquante est certainement celle de l’article 132-7 du code pénal, prévoyant que  « par dérogation aux dispositions qui précèdent, les peines d’amende se cumulent entre elles et avec celles encourues ou prononcées pour des crimes ou délits en concours ».  Dans la droite ligne de cette position, la jurisprudence a pu poser comme principe que « des condamnations cumulatives à des peines contraventionnelles peuvent être prononcées lorsqu’il est relevé autant de fautes  distinctes punissables séparément » (Chambre criminelle, 8 juin 1971). Mis à part quelques exceptions, le principe demeure donc celui du non cumul des peines identiques.

 

Mais, au regard de la règle non bis in idem, la question du prononcé de deux peines différentes reste ouverte. En effet, lorsqu’un même fait matériel donne lieu à deux déclarations de culpabilité entraînant le prononcé d’une peine principale et de peines complémentaires ou accessoires, il nous semble possible d’y voir une éventuelle contradiction avec le principe selon lequel on est jugé une seule fois pour un même fait. Tel est le cas de la suspension de permis de conduire, peine alternative visée à l’article 131-6 du nouveau Code pénal. De même, apparaît-il toujours possible d’opérer un cumul entre peine privative de liberté et amende (comme il est possible de cumuler une peine avec une mesure de police, c’est le cas typique de l’étranger délinquant faisant l’objet d’une mesure de reconduite à la frontière).

 

Des interrogations doctrinales sont aussi légitimement apparues  avec la consécration par le nouveau code pénal d’une responsabilité pénale des personnes morales, visée aux articles 121-2 & s. . Le Doyen Lombois y a ainsi vu une contradiction avec le principe non bis in idem, ce dans la mesure où,  « La responsabilité pénale des personnes morales n’exclut pas celle des personnes physiques, auteurs ou complices des mêmes faits » (art. 121-1 al. 3). Un même fait matériel serait donc appréhendé dans plusieurs « combinaisons infractionnelles » l’une attachée à la volonté autonome de la personne morale et l’autre à la volonté propre de l’individu. Au final, un même individu, contrôlant la personne morale aurait à subir deux contrecoups répressifs justifiés par un fait unique. L’un directement, par le jeu de sa responsabilité personnelle, l’autre indirectement, face aux conséquences pécuniaires que représente la sanction infligée à la personne morale.

 

Le fonctionnement et la portée de la règle non bis in idem dans le réseau pénal, d’où elle émane, sont encore soumis à des incertitudes doctrinales. La solution allemande est proche de la notre. La règle non bis in idem reçoit consécration constitutionnelle dans la loi fondamentale de 1949 et s’inscrit à l’article 103 de la Grundgesetz suite à l’affirmation des grands principe communs à tout Etat dominée par le modèle Es1 : Principe de légalité, de non rétroactivité de la loi d’incrimination plus sévère, de proportionnalité. Il est ainsi établit qu’un même fait, en droit allemand ne peut donner lieu à une double punition, même s’il a donné lieu à de multiples poursuites. L’originalité du droit allemand de la sanction administrative réserve naturellement des applications précises du principe en cas de mise en communication du réseau pénal et administratif. Ces questions, qui sont le centre d’intérêt majeur du jeu de la règle non bis in idem en Allemagne seront examinées ultérieurement et ne peuvent être envisagées qu’en connaissance de la valeur reconnue au principe au sein du réseau administratif.

 

 

 

B - Le réseau administratif : les aménagements de la règle non bis in idem

 

 

C’est avec le développement de l’administration sanctionnatrice qu’apparaît la nécessité de protéger l’administré contre un cumul de répressions justifiées par un seul  et même comportement. L’application de la règle non bis in idem aux sanctions du réseau administratif apparaît comme incontournable si l’on considère le rapprochement parfois très net entre les objectifs du réseau pénal et administratif. Les finalités parfois punitives de la répression administrative, ont conduit à la constatation de l’existence d’un droit pénal administratif, poursuivant des objectifs identiques à ceux du droit pénal. Dans ce contexte, la valeur reconnue à la règle non bis in idem, au sein du réseau administratif est certes influencée par sa valeur dans le réseau pénal, mais conserve néanmoins une originalité et des modalités de fonctionnement qui lui sont propres.

 

 

1 ) L’affirmation d’un principe général du droit

 

C’est dans l’arrêt deux arrêts du Conseil d’Etat ( Banque Alsacienne privée, CE : 5mars 1954 et Commune du Petit Quévilly, CE : 23 avril 1958) que la règle non bis in idem est érigée par le juge administratif au rang des principes généraux du droit « dont le respect s’impose même en l’absence d’un texte exprès ». Ce principe ne s’applique pas seulement aux sanctions internes à l’administration, relevant du droit disciplinaire administratif, mais aussi aux sanctions que l’administration entend infliger aux administrés, même s’ils n’ont pas entretenu de rapports préalables avec elle. Une décision de sanction administrative a donc autorité de la chose jugée ou décidée, selon qu’elle émane du juge administratif ou d’une administration. Il s’ensuit, comme le souligne M. Mougeron que « le prononcé d’une décision répressive interdit qu’une autre mesure répressive soit ultérieurement décidée pour punir la même infraction ».

 

 

2 ) Une acception propre au droit administratif

 

L’acception de ce principe et son application est néanmoins à nuancer nettement de celle qui en est faite en droit pénal. En effet, comme a pu le préciser la jurisprudence administrative dans un arrêt Schauf du 23 mai 1928, le cumul de sanction n’est impossible que s’il y a identité d’objet et de cause entre les deux sanctions administratives en fait, si la seconde sanction est basée sur des faits matériels identiques et une incrimination de même nature. Donc  « le juge administratif n’applique pas le principe en cas de concours réel d’infractions » (M. Delmas-Marty & C. Teitgen-Colly : Punir sans juger ?). Dans la logique de l’arrêt Commune du Petit Quévilly, le Conseil constitutionnel dans la décision du 30 juillet 1982 a pu rappeler que le principe n’avait pas valeur constitutionnelle et que le législateur pouvait y déroger. C’est d ‘ailleurs fréquemment chose faite. Néanmoins, la décision COB précitée et dont l’étude sera détaillée ultérieurement, a amené à quelques observations particulièrement constructives. Ainsi, alors que le Conseil constitutionnel, visant l’éventualité d’un cumul entre sanctions administratives et sanctions pénales écarte expressément le jeu de la règle non bis in idem, il confirme néanmoins la nécessité, en conformité avec l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du  Citoyen, du respect du principe de proportionnalité. Cette position, qui semble héritée de la position des instances communautaires, prétend que «...si l’éventualité d’une double procédure peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique, qu’en tout état de cause, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues. ».  La question de savoir  si cette affirmation reçoit des applications en matière de cumul de sanctions administratives reste ouverte (M. Delmas-Marty & C. Teitgen-Colly : Punir sans juger ? p. 92).

 

Le réseau administratif obéit donc à une logique propre face au principe Non bis in idem qu’il consacre. La solution adoptée en Allemagne apparaît différente. Dans une logique de dépénalisation, pour les infractions les moins graves, le réseau administratif a en effet vocation à appliquer une sanction. Les  Ordnungswidrigkeiten (OWI) représentent cette catégorie de sanctions administratives. Leur finalité réelle semble inconnue dans les réseaux de sanction français. Les OWI ne comportent, en effet, aucune connotation éthique, aucune réprobation, « leur finalité serait donc la punition-rétribution d’un côté, le simple avertissement de l’autre » (M. Delmas-Marty : Grands systèmes de politique criminelle, p. 161). Ces sanctions « quasi-pénales » sont néanmoins susceptibles d’appel devant une juridiction judiciaire et entrent dans le champ de la notion de droit pénal visé à l’article 74 al. 1 de la Grundgesetz. La règle non bis in idem visée à l’article 103 al. 3 leur est de fait applicable.

 

 

C - La règle non bis in idem dans le fonctionnement des réseaux d’autodiscipline

 

 

La logique n’est plus ici celle du modèle Es1, marqué par une forte relation à la loi. En effet, les réseaux du modèle S1 sont marqués par une faible relation aux instances étatiques. Le pouvoir de coercition s’y trouve diffus et entre les mains d’institutions privées, administratives, religieuses ou encore associatives. La logique de ce réseau nous pousse à transcender les limites établies par les branches du droit pour envisager la répression disciplinaire comme un phénomène unique.

 

Néanmoins, ce domaine en « recomposition » (M. Delmas-Marty : Réflexions sur le pouvoir disciplinaire) sous l’impulsion de la Convention Européenne des Droits de l’homme, qu’on a pu qualifier de « petit mécanisme pénal », n’offre pas le même terrain d’accueil à la règle non bis in idem que les réseaux précédemment visés du modèle Es1. Cette situation est évidemment expliquée par la faible relation à la loi et la non-application du principe de légalité qui apparaît contraire à la finalité même d’autorégulation propre au réseau. Ainsi,  peut-il apparaître, difficile de situer la règle dans un réseau dont la fonction première est d’éviter autant que possible la relation avec les instances étatiques.

 

Pour appréhender la valeur de la règle dans les relations internes au réseau, on reprendra la typologie dégagée par Mme. Pralus-Dupuy en distinguant selon que les sanction cumulatives émanent d’une même autorité ou d’une autorité différente.

 

 

1 ) Sanctions émanant d’une même autorité

 

Le principe non bis in idem se trouve ici amplement consacré et est de rigueur sauf si la loi en dispose différemment. La loi peut donc autoriser le cumul de multiples sanctions principales. En revanche, le cumul de sanctions secondaires semble toujours possible. Tel est le cas visé à l’article 4 de l’ordonnance du 28 juin 1945 disposant qu’un notaire destitué se voit de plus privé de son éligibilité aux ordres professionnels.

 

La règle non bis in idem est néanmoins une constante en matière disciplinaire et est à ce titre consacrée par toutes les juridictions.

 

On pense en premier lieu aux relations de travail dans le secteur privé, où le pouvoir disciplinaire de l’employeur est « inhérent à la qualité de chef d’entreprise » ( Chambre sociale : 16 octobre 1980). Ce même employeur n’étant astreint que négativement à un embryon du principe de légalité. En effet, positivement, « il n’est pas besoin qu’une sanction soit prévue au règlement intérieur pour que l’employeur soit en droit de la prononcer » (Chambre sociale : 10 mai 1978). Négativement, il ne peut prendre une sanction exclue par le règlement intérieur ou la convention collective.

La jurisprudence sociale a su ménager une place substantielle à la reconnaissance de la règle. La chambre sociale rappelle ainsi dans un arrêt du 31 octobre 1989 qu’après un avertissement écrit, l’employeur ne peut prononcer un licenciement pour le même fait « en l’absence de nouveaux griefs ». En effet, par la première sanction, l’employeur épuise son pouvoir disciplinaire ( cette solution a été corroborée par un arrêt du 6 mars 1990 dans lequel la Chambre sociale précise que « l’employeur qui a mis en œuvre une procédure disciplinaire, à la suite de laquelle il a notifié au salarié une sanction consistant en une mise à pied d’une durée précise de treize jours, ne peut, en l’absence de faits nouveaux, invoquer les mêmes faits pour justifier ultérieurement une mesure de licenciement ».).

 

La consécration de la règle en droit disciplinaire du travail semble donc acquise. Mais le réseau d’autodiscipline appréhende aussi les pouvoirs que se reconnaît l’administration sur ses agents

 

Ainsi, le Conseil d’Etat, érigeant, comme nous l’avons vu précédemment la règle non bis in idem au rang des principes généraux du droit, applique la règle aux sanctions prononcées contre les agents publics. Le principe est affirmé dans l’arrêt Lacombe du 4  mai 1962. Ainsi, un agent public ou un médecin ne peut-il pas se voir sanctionné à de multiples reprises pour une faute unique. Naturellement, le jeu de la règle est paralysé lorsque les faits matériels donnant lieu à la seconde sanction sont de nature différente ( Conseil d’Etat 8 mai 1964 : Arrêt Dousson ). En cas de concours réel de fautes disciplinaires, le Conseil d’Etat fait preuve d’un recul particulier quant à l’application de la règle non bis in idem. En fait, ayant à se prononcer sur une double sanction de suspension d’activité professionnelle envers un médecin, décidée par la section disciplinaire de l’ordre des médecins, il précise « la règle de droit pénal de confusion des peines en cas de concours réel d’infractions » ne trouve « pas d’application en matière disciplinaire » (arrêt Subrini : 7 décembre 1984, confirmé par un arrêt du 14 mars 1994).

 

Lorsque les sanctions prononcées émanent d’une autorité associative ou corporatiste, la solution apparaît réellement différente de celle retenue en droit disciplinaire administratif. En effet, la Cour de Cassation semble en se sens se ranger à une position unanime. Plusieurs sanctions prononcées contre un avocat, en cas de cumul réel de fautes disciplinaires, n’opèrent pas un cumul des peines prononcées. Au contraire, ces peines se confondent et n’est retenue que l’acception disciplinaire la plus haute ( position retenue dans deux arrêts de la chambre civile en date du 10 juin 1987).

 

Comme on peut le concevoir, la matière du droit disciplinaire est souvent confrontée à la question de l’unicité ou de la pluralité d’un fait répréhensible continu. Cette question dépasse le domaine du réseau disciplinaire même si il nous semble qu’elle y tient une place privilégiée. Ainsi, une attitude fautive et réitérée temporellement peut-elle faire l’objet de plusieurs poursuites ou bien doit-on la considérer comme un seul et même fait matériel ? La solution la plus claire est affirmée par la Commission Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme en une décision Kaj Raninen c/ Finlande du 7 mars 1996. Il s’agissait en l’occurrence d’un objecteur absolu au service national, refusant à la fois un service militaire armé et un service civil. L’individu est de ce fait appréhendé par la loi pénale finlandaise qui le condamne à de multiples peines de prison pour refus réitéré (allant jusqu'à affirmer devant un expert psychiatre qu’il était disposer à risquer une lourde condamnation privative de liberté pour ne pas exécuter son devoir citoyen). Saisissant la Commission Européenne, il se plaint d’avoir été condamné à de multiples reprises sur la base d’une même infraction constituée par son refus répété. Visant l’article 4 du protocole n° 7 précité, la Commission souligne que « cette disposition de saurait s’interpréter comme excluant des condamnations successives fondées sur des comportements manifestés à plusieurs reprises, même s’ils présentent en substance un caractère similaire ». Cette approche n’est pas retenue en Allemagne où la valeur constitutionnelle de la règle non bis in idem a amené le Tribunal Constitutionnel Fédéral à se prononcer sur une affaire où les faits sont peu ou prou identiques à ceux de Kaj Raninen c/ Finlande, s’agissant en l’espèce de Témoins de Jéhovah réfractaires à tout type de service national. Des punitions répétées sont donc prononcées. Le TCF, statuant sur la compatibilité de ces punitions avec la règle non bis in idem conclue que « ce n’est pas la catégorie ordinaire concernant l’objet du procès pénal qui l’emporte mais que c’est la prise de conscience faite une fois pour toutes, qui est décisive et fait des multiples refus répétés au long des années, un seul fait » qui donc ne peut être puni qu’une seule et même fois. La solution française apparaît différente et écarte la règle non bis in idem en cas de faits réitérés. Ainsi, la Chambre criminelle a t’elle pu affirmer : « Les principes admis en matière de chose jugée ne s’opposent pas à ce qu’une infraction qui a été réprimée par une première condamnation soit l’objet d’une nouvelle poursuite et d’une nouvelle condamnation lorsque cette infraction s’est renouvelée depuis la précédente condamnation et présente, par sa nature, le caractère d’une infraction successive » ( Chambre criminelle : 30 juin 1981). C’est ainsi qu’un licenciement motivé par la répétition de multiples fautes disciplinaires déjà appréhendées par des avertissements ne revêt pas le caractère d’une double sanction (néanmoins les conditions de l’article L. 122-44 du code du travail s’imposent).

 

 

2 ) Sanctions disciplinaires émanant d’autorités différentes

 

La question est évidemment plus délicate car chacune des autorités sanctionnatrice agit dans une logique répressive qui lui est propre. Lorsque plusieurs répressions s’exercent concurremment à propos d’un même fait fautif, la règle non bis in idem doit s’écarter. Dans un tel cas, les valeurs protégées étant distinctes, il ne peut s’ensuivre qu’une logique de cumul. Un exemple parlant est en substance dans la loi du 31  décembre 1990 portant réforme de certaines professions judiciaires ou juridiques. Sous l’empire de cette loi, on le sait, un avocat peut être salarié. Il devra donc répondre de ses fautes disciplinaires devant son employeur, mais aussi devant le conseil de l’Ordre.

 

La règle non bis in idem reçoit donc une certaine consécration en droit disciplinaire. Une interrogation demeure néanmoins quant à la portée de notion de sanction disciplinaire. Ce concept est en effet en évolution dans le champ de la « matière pénale » au sens de la Cour Européenne des Droits de  l‘Homme.

 

La reconnaissance de la règle, dans le fonctionnent interne des réseaux de sanction est aléatoire. Sa valeur juridique la met à la merci du législateur et force est de constater qu’elle est « bien loin de recevoir une application universelle » ( M. Pralus). Qu’on l’appelle « ordre particulier » ou « valeur protégée », c’est bien la finalité différente de la sanction qui, en soi, porte légitimement atteinte à la règle. Néanmoins, à l ‘épreuve de la mise en communication des réseaux de sanction dont la finalité est parfois voisine, la solution française de fonctionnement cumulatif ne semble guère laisser de place à l’épanouissement de tels principes d’équité.

 

 

 

II - La règle non bis in idem face à la mise en communication des réseaux de sanction.

 

 

Les réseaux de sanction se voient tous attribuer des  « fonctions théoriquement différentes » ( M. Delmas-Marty). Dans la mise en œuvre de ces fonctions sanctionnatrice, les réseaux utilisent, par référence au réseau pénal, la règle non bis in idem selon des modalités qu’on a pu observer. Lorsque deux réseaux fournissent une réponse sanctionnatrice à un même comportement fautif et que la finalité de l’action répressive de ces deux ordres est différente (ex : Protection de l’ordre public et protection d’une profession), le principe du fonctionnement cumulatif semble s’imposer. En revanche, une difficulté apparaît lorsque les fonctions répressives sont les mêmes. La logique voudrait en effet que, pour une même valeur protégée (selon l’expression consacrée par la Cour de Cassation), et conformément à l’acception française de la règle non bis in idem, une seule sanction soit décidée, ce qui apparaît conforme à l’équité. Cette solution n’est pas retenue et les effets de la mise en communication du réseau pénal et du réseau administratif en donnent une évidente démonstration.

 

 

A -  Rencontre du réseau pénal et du réseau administratif

 

 

1 ) Le principe du fonctionnement cumulatif

 

 

« Considérant que , sans qu’il soit besoin de rechercher si le principe dont la violation est invoqué a valeur constitutionnelle, il convient de relever qu’il ne reçoit pas d’application au cas de cumul de sanctions pénales et de sanctions administratives ». Telle est la position du conseil constitutionnel dans le seizième considérant de la décision COB du 28 juillet 1989. Cette affirmation  semble emprunte d’un raisonnement incontournable. L’indépendance organique des deux juridictions est « un principe fondamental reconnu par les lois de la république ». De ce fait, force est de constater qu’il y a séparation des contentieux, donc possibilité ouverte de cumuler les sanction. La solution n’est pas nouvelle puisqu’elle était expressément consacrée par le Conseil d’Etat ayant statué que des poursuites pénales et administratives peuvent être engagées à propos d’un même fait et que les deux catégories de sanctions peuvent se cumuler (Arrêt Grandgirard : 19 février 1943). Cette position est d’ailleurs suivie par une partie de la doctrine et comme l’affirmait le président Odent : « Un cumul de sanctions est légalement possible lorsqu’il s’agit de mesures infligées pour des causes juridiques différentes ». La valeur de « mesure destinée à sauvegarder les droits et libertés constitutionnellement garanties » qu’il avait reconnue à la règle dans la décision CSA du 17 janvier 1989 n’a pas été poussée jusqu'à l’affirmation d’un principe à valeur constitutionnelle. Néanmoins, si la règle non bis in idem ne reçoit pas d’application en cas de cumul possible de sanctions pénales et administratives, le Conseil n’en a pas moins décelé un palliatif. Pour ce faire, il s’appuie sur le principe de proportionnalité se déduisant lui même du principe de nécessité des peines visé à l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen :  « La loi ne peut établir que les peines strictement et évidemment nécessaires ». Le principe de proportionnalité impose donc que, dans l’hypothèse d’un cumul, « le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues ». Cette approche est empruntée à la jurisprudence de la CJCE dans l’affaire Walt Wilheim du 13 février 1967. Dans cette affaire, la CJCE était en présence d’une possibilité de cumul entre sanctions communautaires (des infractions en matière de concurrence) et sanctions nationales. Se basant sur une « exigence générale d’équité », elle va recommander, en cas de double procédure, « qu’il soit tenu compte de toute décision répressive antérieure pour la détermination d’une éventuelle sanction ».

 

La position française s’inscrit donc très clairement dans une logique de cumul intrinsèquement incompatible avec l’application de non bis in idem. Faut-il en déduire, comme le suggère M. Pralus, que « la porte est ainsi grande ouverte à un cumul de répressions mettant à mal les principes constitutionnels tant de nécessité des peines que de proportionnalité de celles-ci à la gravité des faits » ? Il semble en effet que les aménagements pour pallier à la non application de la règle en cas de dualité de poursuites administratives et pénales nous amènent à de multiples incertitudes.

 

Aménageant ainsi le cumul des sanctions, le juge constitutionnel, dans la même décision COB, met à la charge des autorités administratives et judiciaires la responsabilité de « veiller au respect » de l’exigence de proportionnalité dans « l’application des dispositions de l’ordonnance du 28 septembre 1967 modifiée ». Une telle démarche a conduit certains commentateurs à poser certaines critiques soulignant le manque de cohérence de la solution. D’une part, elle peut réduire le champ d’action du juge judiciaire. Un exemple jurisprudentiel de cet inconvénient apparaît dans l’affaire Delalande. En l’espèce, un individu est condamné par la COB en date du 22 décembre 1992 à une sanction pécuniaire de dix millions de francs au titre d’une des dispositions de son règlement visant l’exploitation d’une information privilégiée. Le dossier, une  fois transmis au parquet fait l’objet d’une poursuite pour violation de l’article 10-1 de l’ordonnance du  28 septembre 1967, visant le délit d’initié. La COB ayant prononcé la sanction maximale, il ne restait au juge pénal qu’à caractériser un profit personnel de l’intéressé pour, le cas échéant, lui infliger une sanction maximale de dix fois ce profit. La 11ème chambre correctionnelle du TGI de Paris rappelle, dans une décision du 3 décembre 1993, que « l’on ne saurait assimiler à un profit réalisé la plus-value potentielle résultant de l’opération incriminée » et que de ce fait, elle n’est pas à même de prononcer une sanction dans le respect du principe de proportionnalité. De même, le Conseil constitutionnel ne règle t’il pas la question du cumul de sanctions pécuniaires et de sanctions privatives de liberté. Il demeure donc de nombreuses limites quant à la construction de la solution retenue.

 

Au fonctionnement cumulatif des réseaux de sanctions, certains pays dont l’Allemagne est certainement le modèle, ont développé une autre stratégie de politique criminelle permettant un respect bien plus affirmé de la règle non bis in idem.

 

 

2 ) L’option du fonctionnement alternatif 

 

 

C’est en 1949 qu’apparaît en RFA le concept d’Ordnungswidrigkeiten (OWI), dans une loi sur les infractions économiques. Ces infractions sont de nature administrative (GeldbuBen). En 1952, avec le Gesetz über Ordnungswidrigkeiten, du 25 mars 1952, ces infractions étaient encadrées précisément par une loi qui leur était propre. Le réel avancement est réalisé en 1975 (loi-cadre du 2 janvier 1975) lorsque les OWI, dans la logique d’un mouvement de dépénalisation, remplacent la catégorie des contraventions .

 

En fait, « l’originalité du système allemand... tient précisément dans le refus du cloisonnement et dans la volonté de coordonner les réseaux » (M. Delmas-Marty : Grands systèmes de politique criminelle p. 159). L’étendue des OWI se développe continuellement et ils appréhendent un nombre très importants d’actes, dont la classification apparaît difficile. Dans cette perspective de fonctionnement, les atteintes à la règle non bis in idem apparaissent comme naturellement neutralisés.

En effet, le fonctionnement alternatif, impose qu’un même fait ne puisse être appréhendé par une sanction pénale et par une sanction pécuniaire résultant d’une OWI. L’article 103 al. 3 de la Grundgesetz  précité interdit le cumul de sanctions sur la base de la violation d’un texte pénal et d’une OWI. Néanmoins, des possibilités d’application d’une sanction répressive sur la base d’un même fait par les deux réseaux reste concevable. En ce cas, la règle non bis in idem commandera le dessaisissement de l’un des réseaux au profit de l’autre.

 

Néanmoins, une hypothèse nous semble à envisager. Il s’agit du cas où un individu commet une infraction administrative et que, ayant déjà été sanctionné, il s’avère que l’infraction est aussi réprimée par le droit pénal. C’est notamment le cas de l’automobiliste qui, enfreignant une règle du code de la route, blesse un piéton qui finit par décéder. Dans ce cas, la règle non bis in idem reçoit une légère atténuation (§ 84 sect. 1 OWI Gesetz) et la poursuite au criminel est possible sans que la décision sur la culpabilité reconnue l’autorité administrative ne soit liante pour le juge pénal. En tout état de cause, un cumul de sanction n’est pas possible et  une condamnation à une amende administrative suivie d’une condamnation à une amende pénale conduira à ce que l’amende administrative soit anéantie de par la déduction de son montant sur celui de l’amende pénale (art. 86 sect. 2 OWI Gesetz).

 

La règle non bis in idem reçoit donc une consécration plus entière en Allemagne, par le biais du choix de fonctionnement alternatif du réseau pénal et administratif. Le rapprochement avec un tel mode de fonctionnement ne semble que mettre en exergue les insuffisances du système français, notamment au regard du droit européen.

 

 

B - La perspective française face aux exigences Européennes

 

 

L’article 4 du protocole n° 7 de la Convention Européenne de Sauvegarde des droits de l’Homme consacre, on l’a vu, expressément la règle non bis in idem (« nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la procédure pénale de cet Etat »). La France, comme beaucoup de pays signataires a émis des réserves quant à l’application de cet article (« Le gouvernement de la République Française déclare que seules les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale doivent être regardées  comme des infractions au sens des articles 2 à 4 du présent protocole »).

 

La valeur même de cette réserve est-elle à l’abri de toute contestation. Rien n’est moins sûr. On ne peut, en effet, éluder la position récente de la Cour Européenne des Droits de l’Homme dans l’affaire Gradinger c/ Autriche du 23 octobre 1995. En l’espèce, un requérant autrichien prétendait qu’il avait subit une double condamnation, en parfaite contradiction avec le principe édicté à l’article 4 du protocole n° 7. Jugé par un tribunal pénal autrichien, on avait estimé qu’à l’occasion d’un sinistre automobile, il n’était pas en état d’imprégnation alcoolique au sens de la législation routière autrichienne, par contre, l’administration le sanctionne affirmant l’état d’ébriété.

 

La commission, puis la Cour saisie de l’affaire donne une solution qui nous semble avoir des conséquences substantielles. D’une part, la cour invalide la réserve autrichienne (énoncée en des termes voisins de la réserve française). Se référant à l’article 64 § 2, elle note l’absence « d’un bref exposé de la loi » qui serait en contradiction avec les article 3 et 4 du protocole n° 7 et retient que « la déclaration n’offre pas à un degré  suffisant la «garantie qu’elle ne va pas au delà des dispositions explicitement écartées » par l’Autriche ». De ce fait, elle peut examiner au fond l’affaire et décider que « deux décision litigieuses se fondent sur le même comportement » et qu’il y a bien eu violation de la règle. La Commission comme la Cour mettent de plus l’accent sur l’acception qu’il convient de faire de la règle non bis in idem qui, telle qu‘elle est consacrée, ne fait pas référence à une même infraction, mais à des poursuites et à des condamnations portant une fois de plus sur une même infraction.

Une telle jurisprudence permet certainement de remettre en cause la validité de la réserve française que certaines juridictions nationales avaient déjà essayées de contourner. Le cas s’est notamment présenté dans l’affaire Mme Oster c/ Office des migrations internationales (tribunal administratif de Strasbourg : 19 avril 1994) où le tribunal, conscient de la réserve française, se réfère à l’article 14 § 7 du Pacte International des Droits Civils et Politiques consacrant la règle non bis in idem, et pour lequel aucune réserve n’a été émise.

 

La règle non bis in idem ne reçoit donc pas, à l’heure actuelle, une réelle consécration dans le cas de cumul entre sanctions poursuivant des mêmes finalités, mais émanant de réseaux différents. concurremment un fait délictueux. Si, comme on l’a affirmé de longue date, la violation de la règle non bis in idem heurte le bon sens et « l’intérêt supérieur de dignité, de justice et d’humanité » (Cour d’assise des Pyrénées-Orientales 18 juillet 1870, cité par Merle et Vitu, n°294), il semble que la France ne soit pas parfaitement au fait de ces principes. En effet, la perspective française semble manquer de cohérence, d’où l ‘affirmation de M. Pralus :  « Cette pluralité, ce cumul, institués de bric et de broc, à des époques différentes, permettant à des autorités administratives fort diverses, selon des procédures variables, dans des domaines de plus en plus nombreux, de prononcer des sanctions dont la variété s’accroît et cela dans les relations à la sanction pénale définies au coup par coup et dont il est rare qu’on puisse y voir une réelle organisation ». Dans un tel constat, le manque d’une logique globale de politique criminelle, ne laisse évidemment que peu de place pour la reconnaissance d’une indispensable valeur d’équité.

 

 

 

 Emmanuel JEZ ,

 

Avocat préstagiaire

DEA droit pénal, DESS contentieux