France: Le pôle radiophonique extérieur, une zone de
passe‑droit (Par René Naba)
Saluons comme il sied
pareil événement et ne mesurons pas les encouragements: le pôle radiophonique
extérieur français est désormais à pied d'oeuvre. Ardemment souhaité, le reprofilage
audiovisuel ne souffrait la moindre contestation dans son principe, tant sa
nécessité s'imposait, tant la vétusté du dispositif était patente, tant est
manifeste l'érosion de la position française dans son hinterland stratégique,
notamment le monde arabo‑musulman. Au‑delà des clivages partisans,
il devait traduire la détermination des pouvoirs publics à «montrer le
pavillon» après une éclipse de près d'un quart de siècle.
Témoins impuissants du
naufrage de la radiophonie française, opérateurs et auditeurs francophones ou
francophiles devraient pouvoir y puiser sinon un sentiment de fierté, du moins
un motif de consolation. Au terme de 24 mois d'un processus dont l'intégration
immobilière de RMC‑MO dans le
giron de «la Maison de la Radio» marque symboliquement l'aboutissement, le
bilan apparaît toutefois plus contrasté:
‑Le grand chantier
français de cette fin de siècle dans le domaine de la communication
internationale se voulait la panacée aux maux chroniques du secteur
radiophonique. Il a surtout mis à nu les travers majeurs de la gestion
française et confirmé la sclérose des circuits internes de décision.
‑L'opération
censée dynamiser le redéploiement médiatique de la France s'est révélée être,
sur le plan international, un contresens diplomatique et médiatique, à en juger
par la violente campagne de presse qu'elle a suscitée dans le monde arabe.
En guise de mutation
stratégique, le pôle radiophonique a eu droit, en fait, à un «ravalement
cosmétique» de façade. Au pré‑positionnement d'un vecteur du 21 ème
siècle, l'on a substitué le formatage d'une radio des années 70. La
superposition des pesanteurs bureaucratiques de RFI et du sectarisme clanique
de RMC‑MO ne saurait en effet
tenir lieu de réforme, encore moins conférer une dimension mondiale à l'unique
radio française à vocation internationale. Opérée au mépris du contexte
audiovisuel et politique régional, dans la plus pure tradition bureaucratique
et de l'improvisation, sans la moindre audace novatrice, la restructuration a
officialisé le cloisonnement traditionnel de la station et a consacré un état
de fait longtemps préjudiciable à l'image de la radio.
Sauf à y voir la marque
d'une habilité extrême, la restauration de l'hégémonie d'un groupe longtemps
aux commandes d'une radio à la gestion décriée et à la réputation sulfureuse
dénote mal d'une volonté de renouveau. Sauf à y voir la marque d' un raffinement
suprême, la réintégration au sein du même holding d'un ancien responsable aux
retentissants démêlés judiciaires induit tout aussi mal une dynamique de
rigueur, préalable indispensable à la galvanisation des énergies. Provocation
préméditée, maladresse infinie ou simple désinvolture, cette double décision de
par sa simultanéité et son retentissement, ainsi que l'impressionnante rotation
du personnel de direction, a quelque peu obéré la crédibilité du projet. Si la
première décision a été perçue comme une prime au népotisme, la seconde a été
ressentie comme une caution au cortège corrosif des pratiques abusives. De par
leur effet cumulatif et répétitif, elles ont donné à penser que le pôle
radiophonique extérieur constitue une zone de passe‑droit.
A la tête du module
arabophone en voie de restructuration se sont ainsi succédés en trois ans, deux
directeurs généraux, deux directeurs de l'information, deux régies
publicitaires (HMI et Tihama), deux responsables de l'administration générale
et des relations humaines, alors que l'organigramme de la station affiche le
score impressionnant de 16 responsables pour une trentaine de journalistes,
soit 50 pour cent des effectifs, record mondial absolu, et que la hiérarchie
présentait la singularité d'un recrutement marqué pour bon nombre du personnel
de direction par un transit à l'Opéra.
Sauf à y voir la marque
d'une ordalie, la maîtrise de l'orchestique ne prédispose pas nécéssairement à
la maîtrise de la modulation des fréquences, de même mobiliser ses amitiés au
sein des chefs d'etat africains pour se faim reconduire son mandat ne constitue
pas un gage d'indépendance, ni une pratique digne de la haute fonction publique
française.
Sans surprise, les
résultats ont été à la mesure de ce désordre: dérisoires. Ils relèveraient de
l'ordre de la dérision s'ils ne portaient sur des sujets aussi préoccupants que
sont les niveaux d'audience et de recettes. Sacrifiant à la coutume, le module,
là aussi, a enregistré un deuxième record historique avec le score le plus
faible jamais relevé depuis la mise sur pied du dispositif extérieur, il y a
trente ans: auditoire en constante régression (3 pour cent à Damas contre 20
pour cent à Radio‑Orient), recettes publicitaires quasi‑inexistantes
(moins de deux millions de FF pour un total de 820 millions de dollars
d'investissements publicitaires au premier semestre 1998 pour le Moyen‑Orient)
et, camouflet suprême, le fleuron de la présence française dans le monde arabe
supplanté par la concurrence anglo‑saxonne ou régionale dans les
principaux points d'articulation de la politique française au Moyen‑Orient
: Le Caire, Beyrouth et Damas.
D'évidence, ce résultat
ne saurait être exclusivement imputable à des contreperformances
journalistiques. D' évidence, il constituerait une sorte de démonstration par
l'absurde d'une politique où le souci du verrouillage interne a paru prévaloir
sur le déploiement international, de même que la complaisance et la docilité
sur la compétence, alors que le professionnalisme est la seule riposte valable
à une féroce concurrence internationale.
Pleinement opérationnels
dans une zone soumise à de profonds bouleversements, les anglo‑saxons,
traditionnels rivaux de la France, ont, eux, sans s'encombrer de vaines et
courtisanes considérations, parachevé leur redéploiement planétaire et densifié
leur maillage régional de la sphère euro‑méditerranéenne en multipliant
les accords de partenariats avec les vecteurs arabes. Deux groupes américains
ont ainsi scellé, fin 98‑début 99, une coopération stratégique avec des
confrères arabes, «Newsweek» et le groupe koweïtien «Al‑Watan», d'une
part, «Herald Tribune» et le groupe libanais «Daily Star», d'autre part, sans
parler de la collaboration entre Voice of America et Middle East Broadcasting
Center (MBC) et des pourparlers entre BBC et le Koweït.
Dans un contexte
concurrentiel exacerbé, l' inadéquation permanente entre des notions aussi
synergiques que qualifications, responsabilités et enjeux porte en germe le
risque d'une défaite irrémédiable des ondes françaises. La réhabilitation
radiophonique ne saurait se faim à coup de saupoudrage à connotation
communautariste, à coup de promotion de laudateurs, ou de surconsommation
abusive de fusible. Elle est difficilement compatible avec une culture de
l'indécision et de la frilosité. Elle est antinomique d'une politique dont
l'ambition est de propulser sur la scène internationale un monde multipolaire à
l'effet de contrebalancer l'hyperpuissance américaine. La ré‑novation du
dispositif international de la France, un secteur sinistré par un gâchis de 100
milliards de FF en une décennie ‑‑soit l'équivalent de cinq projets
de l'importance de la chaîne planétaire américaine CNN‑‑ présuppose
une véritable révolution des mentalités tant dans la perception de l'outil de
communication, que dans l'attribution des responsabilités, dans la conception
de l'information que dans son expression programmatique. C'est au prix de cette
innovation intellectuelle que la France pourrait de nouveau espérer disposer
d'une place parmi les grands diffuseurs internationaux, et, à l'aube d'un
siècle annoncé comme étant celui de l'information, restaurer ses positions dans
des zones dont elle a été marginalisée au terme d'un quart de siècle de
stratégie erratique dans le domaine de la communication.
René Naba ‑Journaliste, auteur de «Guerre des ondes
... Guerre des religions/ La bataille hertzienne dans le ciel méditerranéen
(Harmattan 1998)
‑En préparation, le monde arabe face au défi de la
démocratie satellitaire.